De l'accompagnement de l'homme
L'homme de la compagnie repasse sa chemisette, époussette ses chaussures et redresse ses lunettes. Quelques heures de bouchon, radio, fenêtres ouvertes, une première cigarette officie comme café. Passage du digicode, vidéosurveillance, déclic, bouffée d'air frais, déverrouille le bureau, l'homme de la compagnie laisse la lumière éteinte.
Il s'installe dans la place, tous les sens en alerte, jette un regard oblique à l'écran en éveil et le téléphone sonne.
Son chef. Le chef. Le salue. L'interroge. S'emporte. Et le houspille. Bonjour.
Pas de blanc après raccrochage. Pas de silence. Jamais.
Les ordinateurs ronflent, la clim' souffle, le fax sifflote. Entrée de la collègue.
Saluts protocolaires, distanciation polie, il faut s'habituer.
La pénombre est bleutée, filtrée par des persiennes colorées à la main. Les chaises sont bleutées d'origine autant qu'elles sont inconfortables et le téléphone sonne.
Et n'arrête plus. Une digue a cédé quelque part en amont du fil, il n'en peut plus de recracher son flot de voix, pressées, colériques, incertaines, curieuses, ils se relaient tous deux pour écoper avec un seul combiné.
Nombre de coups de pagaie plus loin, l'homme de la compagnie s'enfuit en pause.
Il pourrait sortir fumer une cigarette, prendre l'air, goûter la lumière du jour. La chaleur étouffante qui le guette derrière la porte en verre le dissuade.
Il se cale en arrière dans le fauteuil bleuté, et fixe un point en haut, une marque de fêlure. La marque grandit. Insensiblement. Il l'a déjà observée attentivement.
Aujourd'hui, pourtant, l'idée le travaille. La pièce déjà pas grande semble rapetisser au moindre millimètre d'allongement.
Il assure son assise, retient un peu son souffle, attend la fin de crise, les vertiges il connaît.
Mais l'obsession persiste, et il fait chaud ici, acquiescement de collègue, et on manque un peu d'air. L'homme de la compagnie déboutonne sa chemise pour reprendre son peu d'air et calmer les suées. Rien n'y fait, faut bouger, il tente se mettre debout. Flageole sur ses guibolles, un voile noir sur les yeux et retombe en arrière.
La pièce se rétracte toujours, des papillons noirs font la ronde, son coeur s'emballe dans un grand sprint. L'idée s'impose. Il faut agir. Il se redresse.
Les murs titubent et les armoires vacillent. Il tient bon, une main agrippée au bureau. Inquiétude de collègue, tu es sûr que ça va, hé ? Pause. L'homme de la compagnie tressaute de sa main libre, articule l'acquiescement et reprend la culbute.
Passe la porte en roulant, passe le hall en roulant, et s'arrête de rouler. Sa respiration siffle.
La main s'attarde sur la poignée, l'homme de la compagnie s'apaise, la porte refuse son ouverture. Main tremblante sur l'interrupteur, l'homme de la compagnie débloque, et s'avance hors de la pénombre.
L’homme de la compagnie déboutonne chemisette, enlève ses chaussures et ôte ses lunettes. Un regard dans son dos, une main passe sur son front, non vraiment, rien à faire, il n’est pas fait pour ça.
Exercice d'écriture bihebdomadaire sur le thème scène de claustrophobie
Illustration : Dystopian salayman par =rekanize, sur Deviant Art
(20080219)