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Sour Lounge
25 mai 2008

De la grandeur des petites semaines (part1)

Computer_Man_by_Myklbn

Je me réveille avec le cœur en panique. Effet secondaire du cocktail d’amphétamines à retardement concocté par le pote chimiste. Il m’a prévenu : abuse pas Sven, c’est plus de ton âge ce genre de connerie. Ouais. Tout à fait d’accord. Mais en ce moment, la situation exige que je sois d’attaque à peine ouverts les yeux, quelque soit le déficit de sommeil. Puis j’ai toujours détesté les réveille-matin.

D’ailleurs le matin est bien loin, dans un sens comme l’autre. Il était déjà oublié quand je me suis résolu à sacrifier un temps précieux, et le dosage devait m’assurer trois heures de repos, pas une de plus. De quoi choper le grand flux des connexions post professionnelles, vers dix-huit heures.

Je sentirais presque mes nerfs crépiter, alors que les courbatures me déchirent langoureusement les muscles. Pas à dire, entre ça, la tachycardie et la bouche pâteuse, faut vraiment avoir une excellente raison de gober ces saloperies de merveilles biochimiques. Ca tombe bien, j’en ai une et me la fait.

L’interface vidéo de la console luit tranquillement sur la table de chevet. J’attrape le casque holovid et les gants de contact virtuel, me cale confortablement dans le mauvais futon, un oreiller sous les mollets pour pallier aux problèmes de circulation, et rallume un cul de joint, une pause avant le grand saut, un bémol à la chamade qui refuse de se calmer. Un dernier soupir, mi-anxieux, mi-impatient, et je chausse les interfaces, casque aux tempes, gants au pouls. Plongeon.



Mes paupières convulsent sitôt les premiers assauts du kaléidoscope et la connexion s’initie en une longue chute dans ce trou noir aux mille couleurs. Je me demande parfois si, en plus de mon esprit, mon corps ne s’étire pas jusqu’à devenir un mono-filament susceptible de s’infiltrer entre les électrons. Les rares à m’avoir observer en pleine Course m’ont assuré que non. Ou alors ils étaient sous trip acide. Je ne sais encore lesquels je veux croire.

L’esprit se reconfigure avant la dissolution finale. Son champ de perception est désormais virtuel, une reconstitution holographique de zéros et de uns, fortement inspirée de cette vieille trilogie protointernétique un peu niaiseuse, et recompilée en volumes projetés directement dans le cerveau. Les yeux se font berner à tous les coups.

Le routeur fait transiter mon signal à travers le monde. Sydney la survivante, Bangkok la toxique, Bagdad la dissidente, Nairobi la spatiale, entre autres serveurs. Autant de sauts de puce destinés uniquement à dissimuler mon point de départ. Mes activités ne m'attirent pas que des sympathies, quelques services, gouvernementaux ou privés, donneraient cher pour me localiser physiquement. J'aimerais leur gâcher ce plaisir un peu plus longtemps.

Enfin je peux me risquer aux portes de mon domaine. Face à moi, la double hélice de mon ADN. Deux serpents de briques multicolores ondulant, aussi lascifs que dangereux. Faisant fi de leurs crochets menaçants, je réorganise les codons pour reproduire l'ADN d'une inaccessible aimée. Je n'en connaîtrai jamais plus que la mèche de cheveux offerte comme témoignage d'amour, ainsi l'immortalisai-je. Je reconfigure ensuite le gêne de la couleur des yeux, les faisant passer d'un bleu limpide à un jaune d'or. Petite précaution supplémentaire dans mon codage. Tellement risible.



Fermeture éclair bioélectronique. Les créatures s'ouvrent sur l'espace privé que je me suis ménagé dans la Toile. Disques miroirs et ordinateurs zombifiés, alors connectés, unissent leurs ressources pour reproduire un squat bordélique, mon véritable chez-moi.

Je prends place dans un vieux siège de voiture, plus confortable qu'il n'y paraît, sa programmation m'a demandé quelques heures, et tend la main vers une étagère surchargée de bouquins en éditions de poche. Chaque volume est une base de données d'une valeur très estimable, pour qui en a les moyens. La somme de mes collectes d'informations, ma seule source de revenu.

J'attrape Le Prince, de Machiavel, seul à portée de main. S'y trouve l'accès à ce forum privé pour lequel j'ai sacrifié mes dernières nuits. Je tourne quelques pages, soulignant du doigt certains mots, un mur couvert de graffitis bariolés s'efface devant moi. J'y suis. Je vais pouvoir prendre connaissance des dernières avancées de mes camarades.

Ne me reste qu'à revêtir le masque sous lequel parais, jeans noirs, tee-shirt noir, Docs noires sur peau blafarde. Anodin sans être invisible. Pratique pour mettre les interlocuteurs en confiance. Dans le cas contraire, mes traits insipides fondent au rythme de la cire soumise au chalumeau. Les gens aiment moins. Les autres runners s'en foutent juste assez pour savoir qu'à ce moment il faut commencer à me prendre au sérieux.



Je passe l'ouverture pour me retrouver sur une place pavée s'étendant à l'infini sous un ciel de magma. Karma Court, le forum des non affiliés. LE lieu par lequel circule toute information un rien sensible, à peine extraite des forteresses de données fraîchement crackées. Autant dire que la faune des habitués regroupe à elle seule l'essentiel des criminels informatiques que comportent les listes américaines, européennes et asiatiques. Cumulées. Particulièrement ces derniers jours.

« Bon somme ? » m'apostrophe ~°Bathory°~. Je lui réponds une grimace explicite avant de m'enquérir des nouvelles données. « Krueger666 nous a confirmé que l'Entité ne vient pas des agences US, » me confie la beauté en robe de comtesse. « Il y a perdu quelques uns des ses programmes fétiches, mais l'information est certaine. Les fédéraux sont sur les dents, niveau d'alerte rouge sur tous leurs systèmes, et ils offrent des sommes pharamineuses à quiconque possède quelque chose sur le code source de l'Entité. »

Difficile de dire si la nouvelle est bonne ou non. Quand de telles agences gouvernementales en sont rendu à quémander ouvertement, on est en droit d'avoir des sueurs froides.

« Pareil pour les russes et les chinois, » poursuit-elle. « Tu savais que Hierophant avait ses entrées au FSB ? Souvenir de jeunesse. Son indic n'a même pas cherché à marchander, pour te dire le bordel. Et Beijing a rappelé tous ses supplétifs, y compris les plus autonomes, en prévision d'une nouvelle intrusion. =Red=Star= a juste eu le temps de nous passer l'info avant que sa connexion – et ses services, soient réquisitionnés. »

Il me faudrait une éponge virtuelle pour mettre un terme au ruissellement virtuel. Quelque part dans le monde, mes draps doivent être trempés.

(A SUIVRE)

Photo : Computer_Man, par Myklbn's, in DeviantArt

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