De l'incondition des réels
Et si, et si, et si !!...
Mais qu’est-ce que j’en sais, moi, de comment les choses peuvent se passer dans
d’autres conditions, qu’est-ce que j’en sais de quand ou comme on le dit une
fois que c’est dit, une fois que le morceau a été craché, une fois que l’information
est sortie ! On s’en fout, même, d’imaginer cet éventuel instant qui
n’existera jamais parce qu’il a été, différemment. On ne se crée pas de la
culpabilité par potentialité, on n’offre pas le dos aux reproches parce qu’une
possibilité existe selon laquelle ils sont mérités, merde !
Oui, j’emploie des grands
mots ! Oui, je monte sur mes grands chevaux ! Oui, je
m’emporte !
Mais nom d’un foutre ! Qu’on
cesse de me harceler pour ce qui n’est pas ! Qu’on cesse de me pister pour
ce que je ne ferai pas puisque l’ayant fait autrement ! Haaa si j’étais un
autre, si j’avais plus de responsabilités, si j’avais pas récupéré le coup à
temps, si j’avais pas levé les yeux avant la collision, si j’avais pas ou si j’étais pas
… J’étais ou j’avais ! Point et barre ! Pas de discussion !
C’est déjà assez pénible de s’accommoder de ce que l’on est sans avoir à
imaginer toutes les situations invécues et catastrophiser par imagination !
Et oui ! J’invente des mots si je veux ! Présent de l’indicatif !
Avec des si et des conditionnels,
je te mets Paris en bouteille, je te bouchonne ça, te mets un coup de cire et
je te balance le tout à la baille illico presto. Et non, ça n’a rien à voir
avec les parisiens. J’en connais même des biens. Un en tout cas.
J’étais dans la voiture au moment
où vous êtes sortis de la banque, à mon poste. Oui, j’ai été pissé un coup, oui
j’ai de la chance que les flics ne soient pas arrivés, ou que vous n’ayez pas
eu un pépin. Y’a pas eu. Rien. J’étais à ma place au moment où je devais
l’être, le reste on s’en fout.
Et bordel qu’on me lâche avec la
responsabilité des autres ! Ho ! Les gars ! On braque la Banque
de France en pleine distribution des nouveaux billets, croyez pas qu’y a plus
sérieux comme responsabilité que d’aller pisser un coup en laissant la voiture
sans surveillance ni chauffer. Ha ouais, sûr, sans moi vous n’êtes rien, je
suis la clef de voûte de votre casse, sans le chauffeur parti pisser tout
s’écroule.
Ha évidemment, on ne parle pas de
Gérard le névropathe, susceptible de se mettre à tirer à tout moment à tout va
pour exprimer sa contrariété ; on ne parle pas d’Edmond le manchot qui
foire une ouverture un coup sur trois ; on ne parle pas d’Adèle et de sa
manie de prendre la tangente sitôt qu’elle a un sac de biftons entre les mains.
Non. On se contente de me faire chier parce que je suis allé pisser, que dis-je !
Parce que j’ai eu l’honnêteté de vous le confier, con de moi, vu que
l’information je suis le seul à la détenir.
Mais merde, c’est quoi le
problème à la fin ? Vous faites dans vos frocs comme des midinettes qu’ont
perdu leur gloss avant un rendez-vous sous prétexte que sans chauffeurs vous
étiez baisés ? Il était là, le chauffeur, j’étais là, j’ai fait partir la
voiture et je vous ai emmené dans cette cabane, comme convenu, qu’est-ce qu’il
vous faut de plus ?
J’ai fait ce qui était con-ve-nu !
Point. A vous de faire ce que VOUS aviez convenu, à savoir me filer MA part,
complète, sans rabais, sans retenue, cette putain de part qui m’a motivé à
m’associer à des tocards comme vous !. Et sans finasser sur les risques
inimaginables que ça vous a fait courir que j’aille pisser pendant que vous
vous attaquiez à la première et la plus sécurisée banque de France, sans plan
fini, sans complicité, sans repérage, à l’arrache comme les malades mentaux que
vous êtes.
Et épargnez-moi le « et si
t’étais un flic », hein, là je sature. Je veux ma part ! Je veux me
casser ! Je veux vous laisser à vos plans foireux, à vous bouffer la rate
pour le partage du reste !
Puis d’ailleurs, et si vous étiez
des flics, vous, hein ? Ou des balances ? Hein ? Ou des enfoirés
de raclures finies, prêtes à lécher les souliers vernis pour s’épargner
quelques jours en taule ? Hein ? Hein ? Vous en dites
quoi ? Hein ? Parce que du coup ça devient vachement plus simple
votre histoire de casse douteux. Limite ça explique comment des incompétents
pareils ont pu passer la porte. Puis ça explique aussi pourquoi vous rechignez
tant à me filer mon pognon.
Heuuuu, par contre là tu
déconnes, Gérard, arrête de me braquer comme ça, c’est dangereux ton truc, tu
le sais bien, non, fais pas l’con, j’te dis, calme-toi, mais dites-lui, vous, d’se
calmer, ça va mal finir cette histoire, ça va mal finir, merde, arrête, j’ai
rien dit, je m’excuse, je, non ! NON !! NONNNNNNNNNNNNNNN !!!!!!!!!!
[Exercice sur le thème Et si ..., contrainte : sans conditionnel.]
Illustration : It's a hold up, par ahemmy, sur DeviantArt