Le goût des adieux 7/9
Son cœur s’est arrêté de battre un beau matin, ou peut-être une
Ce n’est pas pour autant que mes accès mortifères se dissipèrent, loin s’en faut. Il aura simplement fallu trouver une autre voie pour les exprimer. Comme il aura fallu trouver une autre voie pour réprimer la passion que continuait m’inspirer Aurélie.
Le
bac obtenu, je dus tempêter pour obtenir de poursuivre mes
études en Métropole et partant, tenter m’émanciper
du joug parental, pour ne pas dire maternel. Finalement, le choix de
la bonne filière, encore inexistante sur le Territoire, aura
eu raison des inquiétudes les plus aviaires.
Pour
compenser, il fut convenu que mes parents retourneraient eux aussi en
Métropole ... On n’entaille pas comme ça le cordon
ombilical, déjà légué ou non.
Heureusement,
Maman fut terrifiée par les conditions de vie là-bas,
durant mon accompagnement, et elle rentra aussi sec, sitôt
trouvé à me loger, ayant abandonné tout projet
de déménagement. Le soulagement fut à la hauteur
de l’inquiétude.
Les
jeux de rôle pouvaient enfin m’occuper à loisir, il
n’y avait plus au dessus de ma tête l’angoisse matriarcale
des suicides de joueurs pour me dissuader.
Ce
devint donc le principal exutoire à mes préoccupations
romantiques. Armes, animaux de compagnie, défuntes amantes,
tous supports étaient bons à devenir des incarnations
d’Aurélie, devenue pour l’occasion Orely. De la sorte, je
palliais à son absence en organisant son omniprésence.
Comme
bien des amateurs, j’allai jusqu’à créer un
univers, le voulant le plus original possible. Orely devint une épée
toute puissante – ce n’est pas alors que je voyais la référence
phallique, actrice alors que j’étais un seigneur aux tous
pouvoirs enfermé dans la glace. L’imagination n’a
décidément guère de réalité.
Comme
de bien entendu, je concoctai une première aventure à
faire vivre à mes joueurs.
Une
séance ne suffit pas, il en aurait nécessité
bien d’autres pour commencer à effleurer le cœur des
manipulations à l’œuvre. Je me contentai de raconter le
scénario à une des joueuses, passionnée de son
personnage, donc un peu de l’univers quand même.
C’est
elle qui me poussa à écrire ce que je lui racontais.
Donc
je tombai amoureux, tentai lui avouer ma flamme dans une missive
aussi fleuve que j’étais ivre-mort, et faute de mieux, me
mis à la rédaction de cet ambitieux ouvrage de Science
Fiction.
Il
avorta au bout de quelques chapitres. L’histoire se diluait déjà
et d’autres préoccupations m’occupaient.
Néanmoins,
le goût de l’écriture était là. Et d’une
certaine manière, il n’était que le prolongement de
ma passion pour les testaments.
Je
me mis à écrire une nouvelle à l’occasion d’un
concours, fortement poussé par la joueuse amatrice de mes
mots.
Il
y était question de suicide, de romantisme, et … d’Orely.
Faute
de pouvoir les vivre, mes deux préoccupations qu’étaient
la mort et Aurélie se trouvaient enfin enlacées sous
mes mots en une sorte de testament instantané.
S’ensuivirent
un certain nombre de nouvelles, invariablement calquées sur
ces thématiques, de près ou de loin, alimentées
par mon incapacité à approcher d’autres filles,
autrement du moins que par de chastes sentiments et de courtoises
distances.
A
force de louanges, j’en arrivais à croire en quelque talent,
nourri par la poésie de Thiéfaine.
Et
progressivement, je parvins à me persuader avoir fait le deuil
d’Aurélie. Loin des yeux …
Aussi
m’attachai-je à quelque chose de plus ambitieux, quelque
chose avec un message, des sens cachés, une revendication,
quelque chose de grand, de fort, de brillant. Quelque chose qui soit
digne d’un écrivain en somme.
Un
ami littéraire coupa mes ailes en plein vol en me livrant la
critique froide et sans concession du premier paragraphe. Je ne
serais pas écrivain.
Une
amie m’avait dit un jour que j’arrêterais d’écrire
le jour où je serais heureux. Elle se trompait manifestement.
Mais sans doute était-ce elle qu’elle essayait de
convaincre.
Illustration : Writing Stories Again, par nelleke, sur DeviantArt