Le goût des adieux 8/9
Son cœur s’est arrêté de battre un beau matin, ou peut-être une
L’ombre d’Aurélie se remit à planer lorsqu’au détour d’une rue, je l’aperçus en compagnie d’une amie. Les années s’étaient écoulées, elle n’avait pas changé. Et malgré la profondeur à laquelle je les avais enfoui, mes sentiments rejaillirent dans un soupir de bouchon de champagne dégazé. Le besoin de douleur avec.
Je
m’étais laissé priver du choix de ma souffrance,
j’avais souscrit au refus d’attenter à mes jours, mais je
n’étais pas à l’abri d’un accident. Surtout s’il
pouvait être providentiel.
La
tendance était présente depuis mes tendres années,
lorsque je m’étais pris à imaginer l’accident qui
me mènerait dans l’ambulance, alors que la fillette dont
j’étais amoureux venait me tenir la main. Il s’agissait
sans aucun doute d’une création fantasmée du contact,
par lequel exprimer ses sentiments, ce qui déjà à
l’époque me posait problème.
Il
était toujours question de ça, avec sous-jacente la
nécessité d’en finir, puisque conscient de
l’impossibilité d’aboutir. De facteur de rencontre,
l’accident devenait facteur de deuil.
J’en
revins par la même occasion à penser en terme de
testament, seul écrit dorénavant destiné à
autrui. Seule exercice maîtrisé, aussi.
Son
écriture occupait tous mes moments intellectuellement libres.
Ainsi
songeai-je au sort de mes livres alors que ne sachant freiner, je
dévalai à roller une rue abrupte de Rennes, débouchant
sur un carrefour à forte circulation, le feu au rouge.
Je
ne voyais quiconque susceptible de manifester une once d’intérêt
pour les histoires de vampires, les sagas adolescentes de Moorcock,
encore moins pour les répétitives horreurs de Koontz.
Et force était de reconnaître que les classiques, je les
avais tous empruntés, cantonnant mes achats à la
littérature populaire. Un certain témoignage de
l’assuétude à la consommation.
Finalement,
je décidai de les faire parvenir au CDI de Mariotti, mon
dernier collège à Nouméa, où j’avais
découvert nombre d’auteurs de ma collection.
Le
sort de mes bandes dessinées m’occupa alors que je rentrai
de nuit, longtemps après l’heure du crime, suivi par deux
frottements de jeans
sur lesquels je n’osais me retourner.
Là
c’était plus simple. Mon meilleur ami, principal
consommateur de mes acquisitions, les recevrait avec plaisir. L’idée
qu’il puisse en revendre une partie pour financer ses dépendances
ne m’ennuyait plus que ça. Après tout, l’essentiel
était qu’il en tire un quelconque profit.
Le
wakizachi
gravé
de runes indéchiffrables, reçu en tant que meilleur
joueur d’une convention de jeux de rôles trouva son
destinataire alors que je perchais en équilibre en haut d’une
falaise venteuse, dans le maquis autour de Nice.
L’ami
chez qui je me trouvais alors partageait mon attirance pour les
lames, y compris non aiguisées, et m’avait fait vivre une
belle partie durant cette convention. Il était normal qu’il
conserve un souvenir de cette période.
Je
trouvais enfin à qui reviendraient mes manuels de jeu de rôle
en me faisant un mauvais trip
sur un joint roulé à la sauvage par un punk polonais
dans une rave
off.
Un
ami encore, initié par mes soins alors que je commençais
à peine, dont l’imagination fertile promettait de belles
choses. Tout simplement.
Pour le reste, l’avantage d’être étudiant incluait de passer l’essentiel des économies non consacrées à la lecture dans la boisson et les stupéfiants divers. Ce qui au final ne faisait pas tant que ça de boisson ni de stupéfiant, le budget restait serré.
Ne
restait que la disposition du corps, seul véritable
difficulté.
Elle
me vint en revenant de Toulouse en pleine grève des cheminots,
lorsque je me trouvai bloqué dans une gare de campagne, sans
argent, ni idée d’où se trouvait Rennes. Je réussis
à faire du stop, pour la première fois de ma vie, et
fut pris par un chauffard patenté et fier de l’être.
Difficile d’expliquer à son chauffeur qu’on voudrait
descendre quand il est courbé sur son volant, à cent
vingt sur les routes de campagne, un regard furieux braqué sur
la route.
Qu’on
l’abandonne à la fosse commune. Il ne valait guère
mieux. Une santé de jeune homme qui ne fait pas d’exercice,
encore soumis aux assauts acnéiques, entamés par les
abus licites et illicites, n’ayant rien connu aux choses de
l’amour. La fosse commune convenait parfaitement à
l’aboutissement de la déchéance.
Ce fut mon dernier testament. Celui que trouveront assurément mes proches en explorant mes archives à la recherche d’un tel document.
Illustration : bandage, par 9ualia, sur DeviantArt