Neil Gaiman : American Gods
Neil Gaiman, un de mes auteurs fétiches, connu sans le savoir depuis
l'adolescence, reconnu par les merveilleux comics que sont le Sandman
ou Death, redécouvert en tant qu'écrivain avec American Gods, puis tous
les autres.
American Gods, ou une fable ... comment disent-ils ?... oui, de fantasy
urbaine, la peinture de notre monde, de notre époque, sur lesquels, par
petites touches insensibles, la magie, l'absurde, l'irréel viennent se
superposer. Le titre ici est évocateur, les dieux américains, les
natifs, ceux importés par les vagues de colonisation du vieux continent
ou les nouveaux, forgés sur les artifices de notre époque. Parce que
tant que les hommes croiront, parce que depuis que les hommes croient,
ils sont parmi nous, compagnons ou ennemis, aides ou tentateurs,
puissants lorsque nombre les révère, ou presqu'inexistant lorsqu'ils
sont oubliés.
Le ton anglais, ironique, pince-sans-rire, appliqué, rigoureux, offert
à la démesure d'une drôle de fresque débridée, à laquelle on ne peut
guère reprocher qu'une fin un peu ... prévisible.
Puis avouez que présenter cette vision de l'Amérique, par un anglais pur jus, le 11 septembre ...
[A propos des nouveaux dieux :]
Dis-lui bien qu'on a reprogrammé cette réalité de merde. Que le langage est un virus, que la religion est un système d'exploitation et que les prières ne sont rien d'autre que du spam à la con !
[A propos du traitement des défunts :]
La plupart des branches du merchandising humain
exigent des marques connues à l'échelon national.
[...]
Je crois que ça vient du fait que les gens aiment savoir à quoi s'attendre.
D'où McDonald's, Wal-Mart, F.W. Woolworth (bénie soit sa
mémoire) : des marques répandues dans tout le pays. Où que vous soyez, vous
obtiendrez le même chose, avec de minuscules variantes régionales.
En matière de pompes funèbres, c'est fatalement différent. Le client désire
un service personnel et convivial, assuré par une personne motivée qui
accordera beaucoup d'attention au cher disparu et à ses proches en cette heure
d'affliction. Il désire la certitude que son chagrin existe à un niveau local,
pas national. Mais dans toutes les branches de l'industrie - et la mort est une
industrie, mon jeune ami, ne vous y trompez pas -, on gagne de l'argent en
achetant en gros, en centralisant les opérations. Ca n'a rien d'admirable mais
c'est un fait. Le problème, c'est que nul n'a envie d'imaginer ses chers
disparus emportés en wagon frigorifique jusqu'à un vieil entrepôt reconverti où
attendent déjà cinquante ou cent cadavres en partance. Non, monsieur. La
clientèle préfère une entreprise familiale, où il sera traité avec respect par
quelqu'un qui ôterait son chapeau pour le saluer s'il le croisait dans la rue.
[A propos de l'Amérique :]
Ce n'est pas un pays pour les dieux [...] ce pays a
été rapporté des profondeurs de l'océan par un plongeur. Il a été tissé par une
araignée à partir de sa propre substance. Il a été déféqué par un corbeau.
C'est le corps d'un père tombé dont les os sont des montagnes et les yeux des
lacs.
C'est un pays de rêves et de feu.
[A propos des totems indiens :]
Ecoute. Au commencement était Renard, et Loup était son frère. Renard dit : les gens seront immortels ; s'ils meurent, ce ne sera pas pour longtemps. Loup dit : non, les gens mourront, comme tout ce qui vit doit mourir, sinon ils se multiplieront au point de recouvrir le monde, ils mangeront tous les saumons, tous les caribous, tous les bisons, ils mangeront toutes les courges et tout le maïs. Or, un jour, Loup mourut. Il enjoignit à Renard : vite, ramène-moi à la vie. Mais Renard répondit : non, les morts doivent rester morts, tu m'as convaincu. il pleura en le disant, mais il le dit tout de même, et ce fut définitif. Loup règne à présent sur le monde des morts, et Renard, qui vit toujours sous le soleil et la lune, continue de pleurer son frère.
[A propos du crédible, de l'incrédible, et de la position de chacun sur la question :]
[A propos de la réalité des dieux :]
Les dieux sont extraordinaires, articula Atsula,
comme si elle avait révélé un grand secret, mais le cœur l'est encore plus.
Car c'est de nos cœurs qu'ils viennent et c'est à nos cœurs qu'ils
retourneront.
Illustration : Lesser Gods, par ani-r, sur DeviantArt